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Valence - centre du patrimoine arménien - jusqu'au 29 avril, 04 75 80 13 00

 

Se reconstruire en exil

L'arrivée des Arméniens en France

Dans le cadre d'Arménie mon amie, l'Année de l'Arménie en France, le centre du Patrimoine Arménien présente l'exposition Se reconstruire en exil. La Cité Nationale de l'histoire de l'immigration à Paris accueillera cette exposition durant l'été 2007 en complément d'un volet Les réfugiés arméniens au Proche-Orient et c'est à Raymond H. Kévorkian, que revient le commissariat de l'exposition pour Valence et Paris.

Article paru dans le numéro 20
avril 2007

L'exposition

Il s'agit par cette présentation de retracer tout d'abord les premiers pas de ces migrants en France, le retour à la vie de cette communauté meurtrie et les voies de son intégration ; quatre thématiques ont été retenues : l'arrivée dans les années 20, l'intégration par le travail, l'engagement aux côtés de l'armée française et la survie de l'identité malgré l'exil.
Dans un second temps, les visiteurs sont invités à découvrir l'itinéraire des familles arrivées dans la Drôme, le Gard ou l'Isère après le génocide et jusqu'à leur installation en France, au travers de tranches de vie et de trajectoires personnelles où le drame côtoie souvent l'espoir et l'extraordinaire. Il a été fait appel à des archives familiales, au travail du studio Arax ou encore au fonds exceptionnel de la bibliothèque Nubar de l'UGAB à Paris.

Deux autres rendez-vous proposent, l'un de découvrir le camp Oddo de Marseille qui a accueilli nombre de ces réfugiés entre 1922 et 1927, ainsi que le témoignage et la mémoire des rescapés de ce déracinement forcé.

L'arrivée en France

Le premier mouvement de migration vient de la Cilicie évacuée par les forces française en octobre 1921, lorsque 120 000 personnes fuient la région, passant parfois en Syrie ou au Liban, ou encore à Smyrne et Constantinople. Le second mouvement touche l'Anatolie en 1922, et c'est l'exode vers la Grèce. Le passeport délivré à ces exilés dit tout ; il porte la mention «sans retour possible». La catastrophe humanitaire ainsi provoquée est partiellement réglée par l'ouverture des frontières françaises et l'accueil avec simple contrat de travail.
Ils sont alors 58 000 à débarquer à Marseille. Après un passage par le camp Oddo, ils s'établissent, certains à Marseille et d'autres en remontant la vallée du Rhône. A Bollène, Aubenas, Privas, Valence, Romans et Grenoble. Puis à Lyon et autour de Lyon, Vienne, Décines, Pont-de-Chéruy, Villeurbanne. Et enfin autour de Paris dans la petite couronne, Alfortville, Issy-les-Moulineaux et les quartiers de Belleville et Cadet.

Ils arrivent pour combler les vides démographiques créés par la guerre et trouvent des emplois dans l'industrie, la chaussure par exemple, ou comme tailleurs et cordonniers. Mais c'est servir la patrie qui constitue pour l'émigré une étape importante du processus d'intégration : car les Arméniens s'engagent comme volontaires (800 hommes) auxquels s'ajoute la fameuse Légion d'Orient formée des arméniens d'Amérique et qui combattit les turcs. En 1939, les réfugiés arméniens encore privés de la nationalité française sont mobilisés et envoyés au combat.

La survie de l'identité arménienne

Après un événement aussi dramatique qu'un génocide, les rescapés développent un réflexe de survie qui se traduit par un fort sentiment d'identité. Ils reconstituent leur réseau associatif par la création de nombreuses organisations humanitaires, éducatives, culturelles, sportives qui ont aussitôt un rôle d'entraide capital et permettent que renaissent aussi les écoles et les églises. Tout cela relié par une presse qui constitue un lien majeur entre toutes les communautés implantées en France.
Bien sûr tout cela paraît facile quatre-vingts ans plus tard, mais les difficultés ont existé et surtout la souffrance de l'exil, la perte de la terre et des racines, la langue nouvelle à acquérir, le travail à retrou-ver, les visages à faire sourire autour de soi quand on a soi-même le cœur lourd.

Et aussi le pays à jamais perdu et Erevan comme au bout d'un rêve.

Tout a dû être dur et c'est cela qu'il faut admirer je crois, le courage de ceux qu'on ne remarque plus parce qu'ils sont au milieu de nous, français (sauf leur nom en ian) mais qui est vraiment français dans une population si composite ? l'énergie de ce peuple vif et amical, volontiers souriant et sa volonté de vaincre. Ils s'appellent Boyadjian, ou Manoukian, Bagdalian, ou Guéviguian, Kélian, Aznavourian ou Vézirian ; ils sont inconnus ou célèbres comme Aznavour ou Henri Verneuil ; ils se sont refait une âme et un pays au travers du nôtre ou à côté du nôtre, et c'est bien.

Cette année de l'Arménie en France vient nous rappeler que la France a su être terre d'accueil, souvent au cours des temps, mais qu'il est bon pour chacun de «se souvenir parfois de la terre à l'autre bout du trajet , qui nous a portés et peut-être façonnés. Et qui demeure.» Quelle que soit la terre. Elle ne doit ni nous encombrer ni nous envahir de ses traditions et rites pesants, Elle peut attirer et faire rêver encore. Mais elle est là.

Jacqueline Aimar